Canada: L’AMF et le BSIF publient leur rapport sur la résilience des institutions financières face aux risques climatiques

Résumé Détaillé : Renforcer la Résilience Financière Face aux Risques Climatiques

Date : Septembre 2025

Ce document présente un compte rendu détaillé des principales observations, idées et faits saillants découlant de l'Exercice Normalisé d'Analyse de Scénarios Climatiques (ENASC) mené en 2024 par le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) et l'Autorité des marchés financiers (AMF) au Canada. L'exercice visait à améliorer la compréhension, les capacités d'évaluation et à fournir une perspective normalisée des risques physiques et de transition liés au climat pour plus de 250 institutions financières.

I. Principaux Points à Retenir

L'ENASC a considérablement fait progresser la compréhension et les capacités du secteur financier canadien en matière de risques climatiques. Bien que les institutions financières semblent en mesure d'absorber les pertes modélisées à court et moyen terme, des vulnérabilités importantes existent, en particulier à long terme où les aléas physiques s'intensifient de manière non linéaire.

  1. Avancement des Capacités Institutionnelles : L'exercice a "permis de faire progresser efficacement les capacités institutionnelles afin d'identifier, d'évaluer et de quantifier les risques liés au climat à l'aide de méthodes et de cadres normalisés." (Principaux points à retenir, point 2). Pour beaucoup, c'était une première exposition à une telle évaluation.
  • Lacunes en Matière de Données et de Capacités :Risques Physiques : Les institutions de dépôts (ID) et les assureurs vie sont en retard dans la géolocalisation des expositions par rapport aux assureurs multirisques, ce qui limite leur capacité à intégrer les risques physiques (inondations, feux de forêt) dans la prise de décision. De plus, "peu d'institutions recueillent ou conservent systématiquement des renseignements sur l'assurance contre les inondations pour les biens donnés en garantie" (Principaux points à retenir, point 4), exposant potentiellement les ID à des risques sous‑estimés.
  • Risque de Transition : L'utilisation de données sur les émissions au niveau des contreparties et des données énergétiques au niveau des propriétés reste limitée, réduisant la précision de l'analyse, notamment dans le secteur immobilier.
  • Exposition aux Risques Physiques :Inondations : Le module sur les inondations a identifié des expositions importantes des ID aux prêts hypothécaires et immobiliers dans des zones à risque élevé. Seulement 40% des propriétaires canadiens souscrivent une assurance facultative contre les inondations, ce qui augmente l'exposition des ID. Une augmentation significative de l'exposition aux zones à risque élevé est prévue d'ici 2045 pour les assureurs multirisques et les ID. Les expositions commerciales sont généralement plus concentrées dans les zones à haut risque que les expositions résidentielles. Certaines institutions ont des concentrations importantes de prêts hypothécaires à ratio prêt‑valeur (RPV) élevé dans des zones inondables, augmentant la vulnérabilité.
  • Feux de Forêt : Dans un scénario de réchauffement modéré (RCP 4.5), "près du double des expositions qui entrent dans le champ d'application de l'ENASC se trouveraient dans des zones à risque élevé comparativement aux conditions climatiques actuelles" (Principaux points à retenir, point 6), signalant une vulnérabilité croissante. La concentration d'exposition des ID dans les zones à risque élevé devrait augmenter de manière significative dans certaines régions (ex. Territoires du Nord‑Ouest : x4,3).
  1. Exposition au Risque de Transition : Les institutions financières détiennent une part significative de leurs expositions commerciales dans des secteurs vulnérables aux risques de transition (SVRT). L'analyse a révélé que les pertes attendues à long terme pourraient "subir une augmentation substantielle" (Principaux points à retenir, point 7), en particulier dans un scénario de transition différée. Le secteur des combustibles fossiles représente à lui seul 83% de l'augmentation totale des pertes, bien qu'il ne représente que 7% des expositions.
  2. Capacité d'Absorption des Pertes : "À court et à moyen terme, les institutions financières semblent en mesure d'absorber les pertes modélisées des risques physiques et de transition." (Principaux points à retenir, point 8). Cependant, l'intensification non linéaire des aléas physiques à long terme pourrait "amplifier les pertes et mettre la résilience à l'épreuve." (Principaux points à retenir, point 8).
  3. Importance de l'Adaptation et de l'Assurance : L'adaptation est cruciale pour réduire la vulnérabilité aux aléas physiques, mais la plupart des institutions n'ont pas l'intention de communiquer ces informations aux propriétaires fonciers. L'assurance de biens est un angle mort pour de nombreuses institutions, avec seulement 12% des ID collectant des informations sur la couverture d'assurance contre les inondations.
  4. Prochaines Étapes pour la Surveillance : Le BSIF et l'AMF intègreront ces constatations dans leurs attentes en matière de surveillance et leurs lignes directrices, en se concentrant sur "l'évaluation de la capacité des institutions financières à mesurer et à évaluer adéquatement les risques financiers liés aux catastrophes et au climat au moyen d'approches robustes fondées sur des données." (Principaux points à retenir, point 10).

II. Contexte et Objectifs de l'ENASC

L'ENASC a été lancé en réponse à la reconnaissance croissante des risques financiers liés au climat, exacerbés par l'intensification des phénomènes météorologiques extrêmes due au réchauffement climatique. Ces risques menacent le système financier via divers canaux, y compris les pertes de crédit et la dévaluation des actifs.

Les trois objectifs fondamentaux de l'ENASC étaient de :

  1. Améliorer la compréhension du secteur financier des risques financiers liés au climat.
  2. Favoriser le développement de capacités d'évaluation des risques climatiques.
  3. Fournir une perspective normalisée et comparable des risques physiques et de transition à l'ensemble des institutions financières.

Plus de 250 institutions financières sous réglementation fédérale ou provinciale au Québec ont participé, posant "les bases d'une gestion plus robuste des risques climatiques dans l'ensemble du système financier." (Aperçu, Faire progresser l'évaluation des risques climatiques...).

III. Capacités Sectorielles et Lacunes

L'exercice a révélé des niveaux variables de maturité dans l'évaluation des risques climatiques, notamment chez les petites institutions.

A. Investissements Stratégiques dans les Données

  • Seulement 26% des ID, 25% des assureurs vie et 12% des assureurs multirisques estiment disposer de données et d'informations appropriées pour l'analyse de scénarios climatiques. (Accroître la sensibilisation et les capacités..., Renforcer la résilience..., tableau).
  • Des données géospatiales fiables (cartes des plaines inondables, des feux de forêt) sont "rares et fragmentées" (Aperçu, Faire progresser l'évaluation des risques climatiques...).
  • Le suivi de la couverture d'assurance de biens est "inadéquat", créant des "angles morts dans l'évaluation du risque de crédit." (Aperçu, Faire progresser l'évaluation des risques climatiques...).

B. Géocodage et Données Géospatiales

  • Géocodage : Essentiel pour évaluer les expositions aux aléas physiques localisés. Avant l'ENASC, seulement 28% des ID et 20% des assureurs vie avaient de l'expérience en géocodage, contre 73% pour les assureurs multirisques. L'exercice a permis à toutes les institutions participantes de géocoder 12,8 millions de propriétés.
  • Cartes des Risques : Avant l'ENASC, seulement 15% des ID et 23% des assureurs vie avaient utilisé des cartes des risques d'inondation et de feux de forêt, contre 56% des assureurs multirisques. Le manque de données publiques de haute qualité est un obstacle majeur.

C. Assurance de Biens et Adaptation

  • Assurance de Biens : Seulement 12% des ID ont déclaré collecter des informations sur la couverture d'assurance contre les inondations. L'écart entre la couverture d'assurance à court terme et les expositions financières à long terme est un "risque matériel potentiel" (L'importance de l'assurance de biens). L'assurabilité des propriétés est elle‑même un indicateur croissant de risque physique.
  • Adaptation : Seulement 9% des ID et 5% des assureurs vie ont déclaré avoir échangé des informations avec les emprunteurs ou titulaires de polices sur la protection des propriétés contre les aléas. L'adaptation est un "élément essentiel de l'évaluation et de la gestion des risques climatiques physiques." (L'importance de l'adaptation). Les inondations résidentielles ont triplé en 10 ans, et 10% des logements sont désormais inéligibles à l'assurance inondation.

D. Risque de Transition : Au‑delà de l'Analyse Sectorielle

  • L'ENASC a introduit un cadre de classification pour le risque de transition, permettant aux institutions de classer 2,5 millions d'expositions commerciales par secteurs et régions en fonction de l'intensité des émissions et de la sensibilité à la transition.
  • Cependant, seulement 12% des ID, 29% des assureurs vie et 27% des assureurs multirisques utilisent des données sur les émissions des contreparties pour quantifier le risque de transition. Il est crucial d'aller au‑delà de l'analyse sectorielle pour des données plus granulaires.
  • Le secteur immobilier est particulièrement exposé, représentant 28% des émissions nationales (carbone intrinsèque inclus). Cependant, seulement 3% des institutions utilisent des données sur les sources de chauffage et d'électricité des propriétés.

E. Limites de l'Analyse Descendante

Bien que les scénarios normalisés facilitent la comparaison, ils peuvent "obscurcir les vulnérabilités propres au portefeuille" (Au‑delà de l'analyse climatique descendante). Les institutions doivent renforcer leurs capacités pour des analyses ascendantes et intégrer le risque climatique dans les décisions fondamentales.

IV. Résultats Quantitatifs des Risques Physiques et de Transition

L'ENASC a fourni des évaluations uniformes des expositions et des vulnérabilités liées au climat, bien que les dommages financiers directs n'aient pas été estimés en raison du manque de liens fiables et accessibles entre les aléas et les dommages au Canada.

A. Risques Physiques : Inondations et Feux de Forêt

Ces deux aléas ont des répercussions sur presque tous les types d'institutions financières.

  • Inondations :
  • L'analyse portait sur les inondations fluviales et côtières dans 11 régions urbaines, couvrant 904 milliards de dollars en actifs hypothécaires et immobiliers, et 3000 milliards de dollars en valeur assurée (environ 40% des prêts hypothécaires au Canada).
  • Les expositions agrégées dans les zones à risque élevé d'inondation (profondeur > 0,5m en 2050) varient de 10% à 12% selon le type d'institution.
  • La concentration varie significativement par région et par institution. Des poches de vulnérabilité existent où "de plus petite taille [institutions] peuvent avoir plus de 50 % de leurs expositions régionales dans des zones à risque élevé d'inondation" (Résultats par région, figure 3 et 4).
  • Les expositions commerciales sont plus concentrées dans les zones à risque élevé d'inondation que les expositions résidentielles (ex. Calgary : x3).
  • La vulnérabilité des emprunteurs est accrue pour les prêts hypothécaires à RPV élevé (> 70%) dans les zones inondables, d'autant plus que l'assurance hypothécaire n'inclut pas la couverture contre les inondations pour les événements de force majeure. Certaines ID ont jusqu'à 43% de leurs expositions à RPV élevé dans des zones à risque élevé d'inondation.
  • Réassurance : Environ 70% des assureurs directs réassurent moins de 10% de leur valeur assurée totale, tandis que 10% en cèdent plus de 90%. Cela souligne la nécessité d'évaluer la résilience des stratégies de réassurance face à l'augmentation des sinistres climatiques.
  • Feux de Forêt :
  • L'analyse couvrait 27 milliards de dollars en actifs hypothécaires et immobiliers pour les ID, et 359 milliards de dollars en valeur assurée pour les assureurs multirisques dans 7 régions rurales ciblées.
  • L'Indice de Combustible Disponible (ICD) a été utilisé pour évaluer le risque.
  • Dans un scénario modéré (RCP 4.5 pour 2041‑2070), la proportion des expositions des ID dans les zones à risque élevé ou très élevé de feux de forêt devrait passer de 16% actuellement à 29% d'ici 2050.
  • Cette augmentation est inégale régionalement (ex. Territoires du Nord‑Ouest : x4,3; Nord de l'Alberta : x2,5).
  • Prochaines étapes : Les institutions devront développer des fonctions de dommages robustes pour traduire les aléas en pertes monétaires, assurer une couverture géographique complète et intégrer les données sur le combustible et la végétation.

B. Risque de Transition

Le module a évalué l'incidence des scénarios de transition sur les expositions commerciales via deux canaux : le risque de crédit et le risque de marché. Il a couvert 3 500 milliards de dollars d'expositions pour le risque de crédit.

  • Scénarios de Transition : Trois scénarios ont été modélisés : transition immédiate (sous 2°C), transition différée (sous 2°C) et carboneutralité en 2050 (1,5°C). Le rapport se concentre sur le scénario de transition différée.
  • Secteurs Vulnérables au Risque de Transition (SVRT) : Les SVRT (combustibles fossiles, industries énergivores, agriculture et foresterie, transport aérien et autres) représentent environ 17% du portefeuille total visé.
  • Incidence sur le Risque de Crédit :Une transition différée entraîne des coûts beaucoup plus élevés. "À long terme, les pertes sur la durée de vie étaient de 43 % supérieures dans le scénario différé" (Pertes sur la durée de vie découlant d'une transition différée comparativement à une transition immédiate, figure 11).
  • 96% de l'augmentation des pertes provient des SVRT. Le secteur des combustibles fossiles, bien que représentant seulement 7% des expositions totales, est responsable de 83% de cette augmentation.
  • Les expositions des SVRT ont souvent des échéances plus longues, ce qui implique que "le système financier demeure exposé aux SVRT au fil du temps et que la cession ou le rééquilibrage de ces positions serait probablement à la fois complexe sur le plan opérationnel et coûteux sur le plan financier." (Résultats liés au risque de crédit).
  • Limites de l'Analyse : Les pertes estimées sous‑évaluent probablement les effets potentiels car l'analyse était restreinte (exclusion de petites expositions, obligations d'État, prêts aux ménages), reposait sur une hypothèse de bilan statique, et ne tenait pas compte des effets de second ordre ou des risques physiques.
  • Prochaines étapes : Les institutions sont encouragées à affiner la classification des expositions avec des données sur les émissions au niveau des contreparties et des actifs, à élargir la portée des instruments inclus (dérivés, obligations d'État) et à effectuer des simulations de crise à l'échelle du système.

V. Conclusion et Répercussions sur la Surveillance

Les résultats de l'ENASC indiquent que les risques financiers liés au climat ne représentent pas une menace immédiate pour la stabilité financière, mais qu'il existe des vulnérabilités importantes, en particulier dans les secteurs sensibles à la transition et les régions exposées aux risques physiques.

  • Lacunes persistance : L'exercice a mis en évidence "d'importantes lacunes au chapitre des données et souligné la nécessité que les considérations liées aux risques climatiques soient mieux prises en compte dans la souscription, la planification stratégique et la gestion du risque d'entreprise." (Conclusion et répercussions sur la surveillance).
  • Attentes Réglementaires : Le BSIF et l'AMF intègreront ces constatations dans leurs évaluations et lignes directrices. Il est attendu que les institutions cartographient les aléas physiques, quantifient les répercussions financières et intègrent ces risques dans la planification des fonds propres, la gestion des liquidités et la couverture d'assurance. Elles devront également effectuer des simulations de crise crédibles avec des données géospatiales.
  • Nécessité d'une Approche Robuste : "Une approche rigoureuse de l'évaluation et de la gestion des risques financiers liés au climat est essentielle au maintien de la confiance dans le système financier canadien." (Conclusion et répercussions sur la surveillance).

L'ENASC a été un outil essentiel pour faire progresser la sensibilisation et les capacités, mais des efforts soutenus sont nécessaires pour intégrer pleinement les risques climatiques dans les processus décisionnels et renforcer la résilience du système financier canadien.