AMRAE: Baromètre du risque géopolitique en entreprise 2025

Baromètre 2025 du Risque Géopolitique en Entreprise : Synthèse et Points Clés

Résumé Exécutif

Le baromètre 2025 de l'AMRAE révèle une prise de conscience quasi‑universelle du risque géopolitique au sein des entreprises, qui le considèrent désormais comme un facteur de rupture majeur et non plus comme un simple bruit de fond. Une écrasante majorité des organisations (92%) discute de ce risque au sein de leurs instances de gouvernance et l'intègre dans leur cartographie (82%). Cependant, cette reconnaissance élevée contraste fortement avec l'allocation de ressources, qui demeure modeste. Près de la moitié des entreprises ne disposent d'aucun budget spécifique pour le suivi de ce risque, et seulement 5% des professionnels ont suivi une formation sur le sujet au cours des 12 derniers mois.

Le pilotage du risque est souvent impulsé par la fonction risk management (44%), mais celle‑ci n'en est le pilote principal que dans 22% des cas, illustrant une gouvernance partagée mais parfois fragmentée. L'analyse se concentre principalement sur les menaces, bien qu'une approche proactive puisse transformer les bouleversements géopolitiques en avantages compétitifs, par exemple en réorientant les chaînes de valeur ou en saisissant de nouvelles opportunités de marché. Les principales craintes pour l'année à venir incluent un conflit entre la Chine et Taïwan (21%), les incertitudes liées à la politique américaine (13%) et une extension du conflit russo‑ukrainien (8%). Le baromètre souligne ainsi une urgence : passer d'une logique de réaction à une culture d'anticipation, nécessitant un engagement fort des dirigeants pour professionnaliser la gestion de ce risque devenu incontournable.

--------------------------------------------------------------------------------

1. Contexte et Définition du Risque Géopolitique

L'Émergence d'un Risque Majeur

Le contexte mondial actuel, marqué par des conflits armés, des tensions sur les ressources, une instabilité politique croissante et la fragmentation des alliances, a propulsé le risque géopolitique au premier plan des préoccupations des entreprises. Il ne s'agit plus d'un risque périphérique mais d'un facteur de rupture impactant directement les chaînes de valeur, les décisions d'investissement et les modèles d'affaires.

Cette tendance est confirmée par de multiples études internationales :

  • Enquête FERMA 2024 : Les risk managers européens considèrent la géopolitique comme un enjeu critique.
  • Rapports 2025 du Forum Économique Mondial et d'AXA : Le contexte géopolitique figure parmi les risques majeurs identifiés par les dirigeants.

Définition et Caractéristiques du Risque Géopolitique

L'AMRAE propose de définir le risque géopolitique comme l'impact des rivalités de pouvoir au sein d'un territoire donné (physique, spatial ou numérique) sur les activités de l'entreprise. Cette vision est large et inclut :

  • Les conflits inter‑étatiques.
  • Le contexte local : mouvements sociaux, changements de régimes.
  • Les crises migratoires, sanitaires ou environnementales.

Une caractéristique centrale de ce risque est son rôle d'« influenceur » : il déclenche, modifie ou amplifie d'autres risques (conformité, achats, logistique, sûreté, climat), ce qui le rend particulièrement complexe à appréhender et à isoler. Traditionnellement géré par les États, dont le rôle stabilisateur s'affaiblit, ce risque entre désormais pleinement dans le champ d'action des entreprises.

2. Méthodologie et Profil des Répondants

Le baromètre repose sur une enquête en ligne menée entre le 20 juin et le 5 septembre 2025 auprès de 1 106 membres risk managers de l'AMRAE, recueillant 158 réponses. L'étude vise à dresser un état des lieux de la perception et des pratiques de gestion du risque géopolitique.

Profil des Organisations

  • Taille : 70% des répondants proviennent de grandes entreprises (+1,5 Md€ de CA, +5 000 salariés), 18% d'ETI, et 5% de PME/PMI.
  • Secteurs : Le secteur de l'Industrie et de l'Énergie est le plus représenté (33%), suivi par les services (11%), l'assurance (8%), les transports (7%) et la banque/finance (7%). La diversité des secteurs montre que le risque est systémique et ne se limite pas aux activités les plus exposées.
  • Empreinte Géographique : Une forte internationalisation est observée, avec seulement 17% des entreprises implantées exclusivement en France. La majorité dispose de sites sur plusieurs continents. Cependant, le chiffre d'affaires reste concentré sur l'Europe (80% des répondants), l'Amérique du Nord (54%) et la France (56%). Ce décalage souligne une vulnérabilité clé : des entreprises peuvent être exposées à des risques élevés dans des régions opérationnellement essentielles mais commercialement non stratégiques.

Périmètre des Risk Managers

La gestion des risques d'entreprise (ERM) est au cœur de la fonction pour 64% des répondants. Les autres périmètres principaux sont la gestion des assurances (52%) et la gestion de crise/PCA (39%).

3. Gouvernance et Pilotage

Initiative et Leadership

L'impulsion pour le suivi du risque géopolitique provient principalement de :

  • La fonction risk management (44%)
  • La Direction Générale (36%)

Cependant, le pilotage effectif est plus diffus. Si la fonction risk management est impliquée ou consultée dans 75% des cas, elle ne pilote (ou co‑pilote) la démarche que dans 29% des cas. Le leadership est souvent assuré par la fonction Stratégie/CEO Office (29%) ou est réparti entre différentes équipes sans leader clair (18%), ce qui illustre la nature multidimensionnelle du risque.

Implication des Instances Dirigeantes

Le sujet est solidement ancré à l'agenda des instances de gouvernance. 92% des répondants déclarent que le risque géopolitique fait l'objet de discussions régulières au sein du comité exécutif ou du comité d'audit/risques.

  • Fréquence des discussions :
    • Au moins 1 fois par trimestre : 32%
    • Au moins 2 fois par an : 27%
    • Au moins 1 fois par an : 26%
    • Ponctuellement / sur demande : 8%

4. Dispositifs de Gestion et Analyse

La prise de conscience se traduit par la mise en place de dispositifs de suivi, bien que leur profondeur et leur sophistication varient.

Déclencheurs et Approche

  • Le principal déclencheur du suivi est le contexte géopolitique mondial (79%), montrant une approche réactive aux facteurs externes.
  • Les exercices de cartographie des risques (53%) sont un levier interne majeur.
  • L'approche organisationnelle est majoritairement centralisée (57%), où les directives émanent du siège. Une approche combinant central et local est adoptée par 34% des répondants.

Intégration et Évaluation

  • 82% des organisations intègrent le risque géopolitique dans leur cartographie des risques.
  • Parmi elles, 57% le considèrent comme un risque majeur ou un facteur déclencheur/aggravant pour d'autres risques.
  • L'évaluation se fait très majoritairement via une approche holistique et multidimensionnelle (70%), reconnaissant son caractère transverse.

Parole de professionnel - Santiago BOSIO, Groupe ADP "Pour renforcer cette lecture globale et alimenter la réflexion stratégique, une approche par scénarios, à court, moyen et long termes, pilotée par le risk manager, permet d'anticiper les effets induits d'un événement géopolitique [...] et d'en évaluer les impacts financiers associés."

Analyse de la Chaîne de Valeur : Un Point de Vigilance

L'analyse de la chaîne de valeur reste un maillon faible.

  • 43% des répondants déclarent ne pas analyser cet impact ou ne pas savoir si une telle analyse est menée.
  • Lorsque l'analyse est effectuée, elle se concentre principalement sur les tiers de rang 1 (25%). Seuls 7% vont au‑delà.

Les stratégies de réduction des risques les plus courantes pour la chaîne de valeur sont la diversification des fournisseurs (52%), la mise en place de plans de continuité d'activité (40%) et l'intégration de clauses contractuelles spécifiques (39%).

5. Couverture par l'Assurance

L'assurance est un des leviers pour gérer les conséquences financières du risque géopolitique, mais son utilisation et sa perception sont mitigées.

Polices Souscrites

  • Les couvertures les plus répandues sont « Kidnapping & rançons » (43%) et « Violences politiques et terrorisme » (34%).
  • Un tiers des répondants (32%) n'ont souscrit aucune police spécifique pour couvrir ces risques.

Freins à la Souscription

Pour la moitié des répondants ayant identifié des freins, les principaux obstacles sont :

  • Le décalage entre les offres et les besoins (exclusions, capacité, etc.) : 31%
  • Le coût des primes : 24%
  • Le refus des assureurs de couvrir certaines zones : 23%

Parole de professionnelle - Estelle JOSSO, HERMÈS international "Les couvertures existantes répondent à certains besoins, mais laissent encore en marge une large part des expositions réelles : perturbations d'approvisionnement, sanctions économiques, ou restrictions réglementaires. [...] les offres restent souvent standardisées et les exclusions nombreuses, ce qui peut freiner leur appropriation."

6. Ressources Dédiées : Le Décalage Principal

Le contraste entre la haute perception du risque et les faibles moyens alloués est le constat le plus frappant du baromètre.

Catégorie

Données Clés

Constat

Budget

48% n'ont aucun budget spécifique. Seuls 26% disposent d'un budget dédié (souvent < 50 K€/an).

L'investissement financier est très limité.

Formation

Seuls 5% ont suivi une formation courte sur le sujet au cours des 12 derniers mois. 51% n'ont pas identifié de formation pertinente.

Un déficit de compétences et d'offres de formation est manifeste.

Ressources Humaines

57% n'ont aucune ressource humaine dédiée. Quand elles existent, elles sont intégrées dans des équipes plus larges.

La fonction est rarement formalisée.

Outils et Sources

L'information provient massivement de sources ouvertes et gratuites (79%). L'usage d'outils d'IA est mentionné par 29%.

La veille repose sur des moyens à coûts maîtrisés, avec un intérêt émergent pour la technologie.

7. Vision à Un An : Principales Craintes

Interrogés sur l'événement géopolitique le plus redouté pour les 12 prochains mois, les répondants ont exprimé des craintes dominées par les tensions entre grandes puissances et la fragmentation des équilibres mondiaux.

Événement Géopolitique Redouté

Pourcentage de Répondants

Conflit Chine‑Taïwan

21 %

Incertitudes USA / Trump et impact sur les tensions commerciales

13 %

Perturbations des infrastructures informatiques (crash, cyberattaque…)

8 %

Extension du conflit russo‑ukrainien

8 %

Perturbations des chaînes d'approvisionnement mondiales

8 %

Impact et/ou extension des conflits au Proche et Moyen‑Orient

7 %

Conflit mondial

6 %

Rivalité exacerbée Chine‑USA

6 %

Ces risques sont perçus comme interdépendants, la survenance de l'un pouvant en déclencher ou en aggraver d'autres.

8. Point de Vue d'Experts : Transformer le Risque en Avantage

Selon Sandrine Lunven et Thierry Apoteker de TAC ECONOMICS, réduire la géopolitique à une simple menace serait une erreur stratégique. Les entreprises doivent passer d'une approche défensive à une « culture de l'anticipation » en se dotant d'outils quantitatifs, de scénarios et de systèmes d'alerte précoce.

Chaque rupture géopolitique recèle des opportunités :

  • Les tensions commerciales peuvent ouvrir de nouvelles voies d'exportation.
  • Les politiques de souveraineté énergétique ou technologique génèrent des soutiens publics massifs.
  • Les recompositions d'alliances créent des marchés émergents plus accessibles.

Des exemples concrets illustrent cette dynamique : le Mexique bénéficie du découplage États‑Unis/Chine, l'Inde se positionne comme alternative industrielle, et le Vietnam, l'Indonésie ou l'Europe centrale attirent de nouveaux flux. Les entreprises capables d'anticiper ces inflexions peuvent transformer le risque en un véritable avantage compétitif. Cela exige une mobilisation forte de la gouvernance pour intégrer la dimension géopolitique au même niveau que les considérations financières ou climatiques.